Avant la création, d’après le Zohar, le Ein-Sof, soit l’infini/essence du Divin, considérait l’alphabet hébraïque comme étant le modèle de la création.
Affirmer que les lettres ont précédé chaque acte de la création, c’est dire de façon très moderne que l’univers est né de l’idée et de la force d’un code unique que l’on peut retrouver n’importe où dans la trame du cosmos. Ainsi que l’écrit l’astrophysicien Hubert Reeves, l’univers est un langage unique tel le code génétique ou l’ADN, représenté par quatre lettres, de même que le tétragramme – Youd he vav he – que les sages considèrent être le code de l’univers.
Le Sefer Yezira ou Livre de la Création commence par la Mishna suivante: “Le Seigneur de la multitude avait tracé les 32 chemins mystiques de la sagesse et créa son Univers à l’aide de 3 Sepharim: Sepher pour l’écriture, Sephar pour le calcul et Sippur pour le discours.”
Ces 32 chemins comprennent les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et les 10 Sephirot, soit le langage d’une part et les dix dimensions de l’autre. Qualité et quantité, lettres et mathématique.
Dans le Talmud babylonien (traité Yoma Chap. 7), il est écrit: “Bezalel, premier artiste de la Bible, savait comment permuter les lettres utilisées à la fois pour la création du ciel et de la terre…”
Dans le Sefer Ha Pardes du grand cabaliste du 16ème siècle, Cordovero, nous pouvons lire: “Beaucoup ont cru que les lettres étaient un code conven-tionnel, ce qui est une absurdité… Elles ont un sens intrinsèque, et renferment des mystères, de la spiritualité ainsi que la force de la création”.
En créant une œuvre d’art, l’artiste est celui qui, inspiré, révèle des mondes cachés en utilisant un langage codé. Création signifierait donc révélation d’un modèle caché, déjà existant dans le monde spirituel. Le premier pas serait Lech-lecha, suis ton chemin, construit-toi toi-même, ce qui signifie entrer dans la fluidité, le mouvement, et rompre avec le passé en se tournant vers l’avenir…
L’œuvre de l’homme, tout comme l’œuvre d’art, peut ainsi se graver dans l’espace et dans le temps. Elle peut aussi témoigner de la liberté de son auteur dans son rôle d’homme et d’artiste ainsi que dans sa responsabilité à l’échelon cosmique.
Avant la création, l’infini était le Tout, où n’existait pas encore le moindre atome qui puisse initier un début – Berechit –. Dans le livre de Zohar, l’infini a cédé une partie de sa lumière afin de permettre à la création à venir et à ses créatures, de pouvoir supporter l’intensité de cette lumière. Malgré cela, les réceptacles, virtuels au début, furent incapables de soutenir une telle émana-tion de lumière si infime fut-elle, et se brisèrent. Il s’agit de la célèbre «Doctrine des vases brisés?» de Zohar.
Lors de la création, l’artiste doit avoir recours à un Zimzum, c’est à dire, at-ténuation de la lumière, contraction permettant de construire un espace libre et indépendant dans lequel l’œuvre en gestation trouvera son nid… en un mot, la matrice de la création future.
Le Zimzum est la seule possibilité pour la lumière initiale de s’inscrire dans la matière, dans le fini, dans monde des choix, des pulsions et des désirs. Il peut être considéré comme la rencontre avec l’arbre de la connaissance qui est de nature double par opposition à l’unicité absolue de l’arbre de vie.
L’artiste Tobia Ravà possède une profonde connaissance de la tradition ca-balistique; ses œuvres intègrent la dimension du nombre et de la lettre, le contact avec les deux arbres et la recherche des étincelles cachées dans le cosmos après la destruction des vases.
Sa recherche est caractérisée par un fil conducteur unique, en adéquation avec le langage de la tradition, essence d’une symbiose qui se révèle éga-lement à travers les titres de ses œuvres: Passages de lumière, Code carré, Lumières antiques et nouvelles vérités, Les âmes de l’arbre de vie
Il est intéressant de voir à quel point, tout le long de sa carrière, il reste fidèle à un projet unique, à un but: traduire la partie cachée du cosmos en dimensions concrètes sans en effacer la trame, c’est à dire l’intensité avec laquelle la profondeur, le nombre, la lettre et la lumière modèlent encore et encore la texture de ce que nous croyons voir.
Nombreux sont les peintres qui, de nos jours, prétendent s’inspirer de la Ca-bale… Ce qui est un vrai paradoxe puisque rien n’est plus abstrait que son langage. En revanche, Tobia Ravà, lui, ne fait pas que le prétendre, il adopte franchement comme instrument de création artistique, la métaphore du lan-gage hébraïque, à savoir l’utilisation simultanée des lettres et des nombres, ainsi que l’on considère que le Créateur l’a fait.